Les séquencements

Cet article fait partie de la série 3X - Quelques sujets de comparaison entre Exploration, Expansion et Extraction.

Une organisation fonctionnelle ? Pluridisciplinaire ? Matricielle ? Des équipes tigres1 ? Comme pour tous les autres sujets que nous abordons dans ces notes, la réponse est « tout dépend de la phase ».

Les relations interpersonnelles c’est ce qui donnent vie aux organisations. Mais des relations entre qui et qui ? Comme pour toutes ressources d’un projet les relations sont sujettes à des coûts d’opportunité. Si nous déjeunons ensemble, je ne peux pas déjeuner avec quelqu’un d’autre. Si nous nous asseyons l’un à côté de l’autre, je ne peux pas m’asseoir à côté de quelqu’un d’autre. Certaines relations sont plus utiles que d’autres.

De plus, l’utilité de ces relations change avec le temps mais de manière générale les personnes, les êtres humains, ont tendance à préférer des relations stables. (Et par « les personnes », je veux dire « Je »). Et ce qui avait été une relation utile à une étape d’un projet ou à un moment donné d’une carrière, ne l’est peut être plus désormais.

Je ne donnerai pas de conseils sur les relations interpersonnelles, et vous pourrez me remercier pour cela plus tard, mais je vais vous montrer comment les relations interpersonnelles peuvent être utiles de manière différente au fur et à mesure qu’un produit grandit tout au long des trois phases.

Mise en garde : une certaine dose d’aléatoire dans les relations interpersonnelles est toujours la bienvenue. Ayez toujours des sources de relations qui soient orthogonales — religieuses, sportives, éducatives, leçons de danse, voisinages.

Exploration

Le but en phase d’exploration est d’avoir autant d’expériences riches d’informations que possible dans un espace de temps/budgétaires/ressources donné. Les expériences ne devraient pas avoir, dans la mesure du possible, de lien de corrélation entre elles, afin de s’assurer que vous ayez couvert le maximum de pistes différentes.

L’effectif de l’équipe, dans son ensemble, peut être conséquent, mais les expériences devraient être faites par de petits groupes pluridisciplinaires. Deux, trois, quatre personnes c’est bien. Vous pouvez aussi avoir une partie de l’équipe qui s’occupe d’accélérer le rythme de l’expérimentation, cette dernière sera composée d’expérimentateurs expérimentés, et puis une fois qu’ils auront améliorer la latence des expérimentations, ils pourront retourner faire des expérimentations.

Avoir en tête un objectif plus précis qu’une vision commune ne fait qu’entraver les équipes d’exploration. Le temps passé à collaborer ou à se coordonner pourrait être bien plus utile à expérimenter. Réunir l’équipe au complet permet de communiquer autour des découvertes importantes, de passer en revue les ressources qui vont en s’amenuisant, ou pour se décider à passer en phase d’expansion.

La compétition entre petits groupes d’expérimentation est source d’énergie émotionnelle, de motivation. Aussi longtemps que la compétition n’entrave pas le bon fonctionnement des groupes, encouragez-la. Je me rappelle avoir participé dans mon lycée à la reproduction du procès du Lieutenant William Calley2. Notre équipe qui jouait la défense du prévenu, et l’équipe des procureurs se livraient à une compétition acharnée pour aller le plus loin possible autant sur l’analyse des faits et que sur l’intensité dramatique lors des plaidoiries au cours du procès. Cela ne posait pas de problèmes jusqu’au moment où nous nous sommes aperçus que nous pourrions très bien continuer jusqu’à avoir épuisé tous les livres sur la guerre du Vietnam de toutes les bibliothèques environnantes. Nous étions allés trop loin.

Expansion

Une fois qu’un vainqueur a été désigné, des goulots d’étranglements vont commencer à apparaître durant cette phase de croissance. Plus grande est l’opportunité, plus il vous sera difficile de faire en sorte que la courbe de l’offre et de la demande ne se croisent pas. Les relations sociales les plus utiles dans ces moments-là deviennent celles qui vous permettent de repérer les goulots d’étranglements à venir et de les traiter à temps. Constituez donc des équipes autour de ces goulots d’étranglements.

L’expansion est la période où un poste de commandement3 ou ce que nous appelons à Facebook une salle « de confinement » devient utile. La coordination, jusqu’à présent malvenue, devient essentielle. Rassemblez dans une seule pièce toute l’équipe dédiée au goulot d’étranglement, neutralisez ensuite temporairement toutes les sources de distraction existantes pour favoriser l’émergence de nouvelles formes de relations sociales qui vont alors se concentrer sur la résolution de ce seul problème.

Extraction

Les économies d’échelles sont utiles en phase d’extraction. Faire du travail en doublons c’est vaguement gênant en phase d’exploration mais c’est quelque chose qui commence à coûter vraiment de l’argent à plus grande échelle. Maintenir en place ne serait-ce que des correctifs et des pansements de fortunes permettant à l’équipe de passer le cap de l’expansion devient ici un enjeu majeur et une dépense coûteuse.

Les équipes fonctionnelles sont plus adaptées à réduire les coûts via des économies d’échelle. Bien appliquer une séparation en couches, des modèles d’infrastructures communément répandues versus des produits sur étagères, encouragent à la mise en place de nouvelles économies d’échelle.

Les équipes fonctionnelles ont fatalement des motivations non concordantes [j’adorerais trouver un moyen de corriger cela]. Ce qu’une équipe arrive à gagner de son côté peut se faire au détriment d’une autre4. L’encadrement est responsable pour communiquer la vision globale et s’assurer que les équipes optimisent les choses plutôt que les maximiser ou de les minimiser.

Conclusion

À un moment donné de l’extraction, l’organisation doit générer une nouvelle série d’explorations. Ces explorations nécessitent des équipes constituées en petits groupes autonomes. Et le cycle continue : des petits groupes autonomes explorent un certain nombre d’idées, ensuite une équipe unifiée qui essaye de survivre à une série de goulots d’étranglements, puis ensuite des équipes fonctionnelles qui mettent en place des économies d’échelles, et ensuite des groupes autonomes.

Ou vous pouvez essayer ces différentes formes d’équipes toutes en même temps et vous retrouver avec personnes travaillant juste assez dur pour ne pas être virées. Ce n’est bon pour personne.


Auteur : Kent Beck
Source : Teams in 3X
Date de parution originale : 201x


Traducteur : Nicolas Mereaux
Relectrice : Cidalia De Bastos
Date de traduction : 20/06/2021


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  1. Une équipe tigre est constituée de spécialistes réunie pour travailler sur un objectif précis ou pour résoudre un problème particulier. Une task force (force opérationnelle en français) dans le monde civile pourrait être considérée comme un type d’équipe tigre même si l’origine des deux expressions sont différentes. La première est issue à l’origine du monde de l’aéronautique et la seconde de la marine de guerre états-uniennes - NdT 

  2. Le Lieutenant William Calley est un ancien militaire états-uniens ayant commis un crime de guerre lors de la guerre du Vietnam - NdT 

  3. D’autres expressions peuvent également être utilisés pour traduire l’expression « war room » : salle des opérations, centre de commandement … - NdT 

  4. Prenons par exemple une équipe dont la motivation est de rendre une application la plus rapide possible - par y arriver, elle décide d’accroître le nombre de serveurs sans prêter attention à l’équipe en charge des-dits serveurs qui a comme motivation d’avoir un parc restreint pour mieux pouvoir le gérer. - NdT